Extrait du livre de raison de Francis de Vercourt
18 juillet 1718, Port Margot, Nord de l’isle de Saint-Domingue
Le sommeil me fuit tant la misère de l’âme rejoint la meurtrissure de la chair.
J’en profite pour faire la relation de plusieurs faits qui méritent mémoire.
Hier, nous avons eu un accrochage avec un fort parti d’une centaine d’Espagnols, lesquels poursuivoient une bande moitié moins nombreuses de boucaniers françois. L’une des bordées, étant à terre à l’approche du danger, a prêté la main aux boucaniers, contre promesse de la moitié de leur butin. Icelui estoit fort important, pour ce que les boucaniers venoient de piller ces mesmes Espagnols (environ 10.000 pieces de huit, une centaine de mousquets et une vingtaine d’armures constituent notre part)
Les aventuriers de l’Espadon et les boucaniers estoient suffisants pour prendre les Espagnols en tenailles. Mais bien que largement inférieurs en nombre, iceux se défendirent farouchement, confiant peut-être dans leurs canons et leurs cavaliers. Si bien que nous comptâmes 45 compagnons mis hors de combat, dont 10 boucaniers. Je fus moi-mesme fort malmené par l’un de ces fer-vestus, qui me mit à terre et me trancha dans la botte gauche par deux fois, m’emportant deux orteils. A quoi je m’estimerais heureux si la gangrène ne s’en mesle point.
Nous avions, du reste, une trentaine de prisonniers. Seuls 12 ont accepté de nous rejoindre, le reste, et c’est grand pitié, a esté branché près du village avant nostre appareillage.
Ces évènements ne me doivent point faire oublier d’autres faits dignes d’intérêts. Ainsi que ce roué d’Ange estoit au courant de la manoeuvre de Charles Vane, au moins en partie, et qu’il s’estoit engagé sur l’Espadon pour fomenter une mutinerie. Ce à quoi je l’ai aidé sans le savoir. Que la douce Églantine savoit que la Dame Jeanne voguait les cales vides ; que le manuscrit qu’elle a produit au Conseil se trouva dans les effets d’un voyageur de son hostellerie, qui avoit esté trucidé par un mystérieux spadassin. Que feu Monsieur de Sailly, de sinistre mémoire, avoit pour ordre de conduire la Dame Jeanne à Monsieur de Chateaumorand, gouverneur de Saint-Domingue. Or j’ignore pour l’heure où se trouve ce dernier, car l’isle me parait occupée par les Espagnols. Enfin, que Charles Vane aurait un repère sur l’Isle de la Tortue.
Nous sommes en route pour Cayonne, après un appareillage difficile.